Notre voyage d’étude en Tunisie avait pour objectif (entre autres) de comprendre et mieux cerner les enjeux, les techniques et mécanismes utilisés par les communautés pour se mobiliser sur les réseaux sociaux. La plupart de mes interlocuteurs m’ont éclairé sur un phénomène actuel, viral et catalyseur du changement : le réseau anonyme.
Les réseaux anonymes
Il y a quelques mois j’ai découvert l’univers des réseaux anonymes, qui se matérialise par des avatars regroupés en communauté. Il ne s’agit plus de personnes ou de groupes identifiables mais d’une représentation virtuelle, active, au service d’une stratégie prédéfinie et non modifiable.
Ce concept, voire cette philosophie, s’étend grâce et à travers le web, on parle de « mème internet ». Comme un buzz, on ne sait jamais d’où il vient ! Un mythe qui se crée sur Internet sans qu’on en connaisse le fondement.
Il y a peu de temps je découvrais les anonymous via 4chan (cf. ce remember tweet Wikileak + SkyBlog = 4chan ;o) RT @ndebock : 4chan déclare la guerre à la France http://bit.ly/i8KMqS.
Génial une communauté anonyme de manga hackeur, j’avoue que je n’y comprenais pas grand chose.
Pour mieux comprendre et cerner le concept de réseau anonyme, leur philosophie ainsi que les enjeux et les risques liés, je me suis câblé à la timeline (r)évolution sur twitter.
L’une des communautés qui fait le plus parler d’elle en ces derniers temps s’appelle « les anonymous », nous vous proposons l’excellente définition de wikipedia : « Anonymous est une étiquette et un mème internet utilisé dans la culture internet. En tant que mème, Anonymous désigne les actions coordonnées de plusieurs communautés formées d’internautes agissant de manière anonyme, dans un but particulier ».
Ce qu’on m’en a dit : pour être anonymous il faut être 3 et bien sûr ne rien dire à personne ;o) Une baseline dure mais claire « Nous ne pardonnons pas, nous n’oublions pas ».
Pour moi anonymous c’est un concept, une sorte de franchise pour hackiviste, hackeur… Au contraire de telecomix qui est plus un collectif, cf. définition : Telecomix, un groupe d’hacktivistes suédois, défenseurs des libertés numériques et mettant à disposition des outils pour contrer la censure sur le Net.
Je ressens ces réseaux comme des programmes.
Un programme est une suite d’opérations pré-déterminées destinées à être exécutées de manière automatique.
Une véritable méthodologie de réseau virale avec un fonctionnement automatisé.
Pour revenir à nos affaires tunisiennes !
Lors des révolutions arabes, j’ai d’abord entendu et rencontré des hackeurs qui ont aidé au déroulement de celles ci en piratant des sites (exemple : message d’alerte en page d’accueil, indisponibilité de certains sites…) mais surtout en permettant de maintenir les connexions internet dans ces pays. En effet le pouvoir coupe les fils et les hackeurs bricolent des ponts (accès proxy), cf. notre prochain article sur le rôle des hackeurs dans les révolutions arabes.
Suite à nos recherches et rencontre nous sommes tombés sur un cas étrange : le cas Takriz.
Nous avions identifié qu’il était particulièrement actif sur Facebook avec un blog bien fichu.
Après quelques recherches sur GOOGLE voilà ce qu’on apprend sur TAKRIZ :
TAKRIZ se présente comme le premier cyber groupe de reflexion tunisien. C’est un mouvement pionnier puisque fondé sur Internet en 1998 avec le site http://www.takriz.com/ présenté sous la forme d’un e-mag.
La ligne éditoriale est la suivante : « Pour être libre de nous exprimer, de nous informer, de publier, de nous associer, de surfer internet, de manifester, d’élire nos députés, de former un parti politique, il faut s’unir et résister. »
Avec une histoire mouvementée (le site a été délaissé pendant quelques temps, les fondateurs étant contraints à l’exil), le groupe revient avec TAKRIZ Network, un véritable réseau révolutionnaire sous forme de groupes anonymes recouvrant tout le territoire tunisien.
Comme l’explique sa page Facebook, TAKRIZ produit des videos, des podcasts un magazine et une gazette imprimée (le tout est gratuit). Il est doté d’un serveur SILC de communication cryptée et d’un relai d’anonymisation TOR, et d’autres technologies privées de communication entre groupes d’action.
TAKRIZ utilise donc tout ce que le web 2.0 a à offrir pour relayer ses actions :
Extranet et presse : www.takriz.net / Magazine : www.takriz.com / Twitter : www.twitter.com/takriz / Dailymotion : www.dailymotion.com/takriztv / Facebook : www.facebook.com/takrizo / Vimeo : http://vimeo.com/takriz
Les résultats d’une telle organisation parlent d’eux même :
– Des centaines de milliers de sympathisants dont quelques dizaines de milliers sur Internet
– Une collaboration internationale avec des mouvements comme Phrack, EFF, Amnesty, WikiLeaks, RSF et Parti Pirate autour d’actions d’envergures locales et internationales.
– La page facebook TAKRIZO reçoit fin 2010 plusieurs centaines de milliers de visites. Lors de la levée de la censure d’Internet, la page a reçu un pic de plus de 2 Millions de visites tous les jours pendant une semaine.
– Aujourd’hui la page enregistre en moyenne 600,000 visites par jour variant suivant la mobilisation et les actions de terrain en cours.
Conclusion
Finalement je me pose certaines questions sur ces réseaux anonymes tournants non identifiés, qui semblent incontrôlables mais qui transpirent de stratégie.
Dans ce genre de réseau, les avatars sont fréquemment redistribués au hasard, ce qui rend le système impénétrable car personne ne sait qui est qui.
Parmi les pré-requis fondamentaux des réseaux secrets ou à haute valeur ajoutée illégale, tous les nœuds ne doivent pas être maillés.
C’est certainement pour cela que telecomix, anonymous… ne communiquent pas beaucoup ensemble.
Mon point de vue sur Takriz : ce sont des pros de l’anonymous et de l’happening. Mais que vont ils en faire ???
Ce système quand il ne sert plus à la révolution peut avoir tendance à rentrer en boucle comme un programme, et finalement la résultante pourrait bien être le bug !!!
Retrouvez cet article posté initialement par mes soins sur le Blog 50A