Vivre vs Habiter ?

Vivre vs Habiter, les 2 mots sont très proches, mais tellement opposés, d’un côté, on parle de technique, matériel, de l’autre on balaie l’ensemble de son programme d’être vivant.

Villages de longévité, écolieux coopératifs, moyen de vivre avec la monnaie libre, villes solaires : cet article propose une lecture critique des expériences qui prétendent « habiter et vivre autrement », entre désir d’utopie et réalités matérielles.

Introduction

« Habiter n’est jamais neutre et vivre est encore plus impliquant » Nicolas Bermond Explorateur et architecte social

Choisir un lieu, une architecture, une organisation collective, c’est déjà choisir un monde : un certain rapport au temps, à la santé, à l’écologie. Nos modèles dominants, les mégapoles saturées, lotissements pavillonnaires, centres commerciaux montrent leurs limites. Ils épuisent la planète, abîment nos corps, fragilisent les liens sociaux et finissent par remettre en question les fondamentaux de notre humanité.

Face à cette impasse, un paysage d’expériences s’esquisse. Certaines attirent capital et médias, d’autres s’enracinent discrètement. On parle de villages de longévité, d’écolieux, de monnaies libres, de circuits courts. Elles sont imparfaites, parfois contradictoires, mais posent la même question : comment habiter autrement ?

Pando Longevitown : le rêve régénératif en Sardaigne

Sur la côte sarde, là où les registres de longévité ont nourri le mythe des Blue Zones, un projet se lève avec ambition : Pando Longevitown. Les concepteurs promettent une microcité pionnière étendue sur plus de deux cents hectares, dont la quasi-totalité resterait en espaces verts. Villas, resort haut de gamme, clinique et centre de recherche composent la façade d’un récit d’abord écologique et sanitaire.

« Être en bonne santé exige une planète en bonne santé. »

L’idée maîtresse est directe : la santé humaine dépend de la santé des écosystèmes. Des matériaux non toxiques, une agriculture régénérative, des flux énergétiques propres et une neuroarchitecture positive doivent aligner bien-être biologique et qualité d’habitat. Le projet évoque même une part d’habitats “abordables” pour les locaux, promesse qui, si elle se confirme dans les prix et les modalités, marquerait une rupture bienvenue avec les enclaves premium habituelles.

Reste l’ombre portée. Pando rappelle Zuzalu, cette ville éphémère du Monténégro où milliardaires et pionniers de la biotech se sont retrouvés pour « refuser de vieillir ». Le risque n’est pas l’échec technique, mais la réussite réservée à une élite. Une enclave de santé, si séduisante soit-elle, peut renforcer la ségrégation. Et si la longévité devenait un produit marchand, vendu sur catalogue, plus qu’un bien commun ?

Archipel des îles Marseille
Archipel des îles Marseille

Zuzalu : laboratoire brillant, miroir sombre

Au Monténégro, en 2023, Zuzalu a rassemblé pendant deux mois environ deux cents invités : crypto-entrepreneurs, investisseurs biotech, chercheurs. La communauté a exploré longévité, network states et biens publics numériques. L’énergie était réelle, les collaborations fécondes et la capacité d’itérer impressionnante.

La contrepartie saute aux yeux : sélection à l’entrée, gouvernance opaque, imaginaire transhumaniste assumé. Zuzalu devient ainsi un avertisseur : l’utopie de la longévité peut muter en bulle de privilège si l’accès, la redevabilité et l’ancrage territorial sont négligés.

La Suite du Monde : réutiliser, ancrer, relier

En Dordogne, La Suite du Monde emprunte une voie moins spectaculaire et plus rusée : racheter d’anciens campings pour en faire des tiers-lieux ruraux. Ici, pas de dômes ni de labos clinquants, mais des espaces pour séjourner, travailler, s’organiser et faire vivre des associations locales. Le geste est pragmatique : réemployer l’existant, retisser des liens, densifier socialement sans bétonner davantage.

La promesse dépendra pourtant de la gouvernance, des prix d’accès et de la place réelle laissée aux habitants du territoire. Sans cela, l’esthétique de la sobriété peut virer au décor pour voyageurs en quête d’authenticité, sans transformation locale tangible.

 

Oasis : essaimer plutôt que grossir

À mille lieues des resorts premium, la Coopérative Oasis accompagne depuis 2018 des centaines d’écolieux. Des fermes partagées, des habitats collectifs, des cuisines communes et des jardins tissent un quotidien où gouvernance par consentement, mutualisation et sobriété ne sont pas des slogans mais des habitudes. La force du mouvement tient à son essaimage : point de modèle unique, mais une multitude de lieux ajustés à leurs territoires.

Cette diversité se paie en complexité. Les montages juridiques, les finances et la vie collective fatiguent. Pourtant, c’est souvent là, dans l’ordinaire qui résiste, que s’invente une innovation sociale plus robuste que bien des vitrines futuristes.

AMAP : une révolution tranquille

Bien avant les écolieux, les AMAP ont réorganisé la relation entre paysans et citoyens. Nées en 2001 en Provence, inspirées des teikei japonais, elles partagent risques et récoltes, sécurisent un revenu et garantissent une alimentation locale et saine. Rien de spectaculaire : des paniers, des distributions, des visages qui se connaissent. Mais c’est précisément cette simplicité qui fait la force d’une révolution discrète et durable.

Des exemples américains : Arcosanti et Babcock Ranch

Aux États-Unis, deux expériences servent de contrepoints. Arcosanti, en Arizona, est une utopie d’« arcologie » lancée en 1970 par Paolo Soleri. Jamais achevée, fragile économiquement, elle demeure une école vivante du design frugal et bioclimatique. À l’inverse, Babcock Ranch, en Floride, revendique une alimentation 100 % solaire de son réseau : lorsque l’ouragan Ian a frappé en 2022, la ville a mieux tenu que ses voisines. Ici, pas de radicalité artisanale, mais la démonstration qu’une résilience climatique concrète est possible à l’échelle d’une ville planifiée.

L’Île Bermond : un laboratoire poétique

Au milieu de ces projets, j’ai créé ma propre île : l’Île Bermond. Ni smart-city ni resort médicalisé, mais un laboratoire poético-techno-philosophique. J’y explore la beauté comme méthode, l’audace comme manière d’agir et la transmission comme acte politique. Cette île n’a pas vocation à séduire des investisseurs : elle rappelle que sans récit, sans poésie, l’innovation se réduit à des produits, quand habiter autrement exige d’abord de penser autrement.

Des Archipels hétérogènes

Pando, Zuzalu, La Suite du Monde, les Oasis, les AMAP, Arcosanti, Babcock Ranch et l’Île Bermond forment un archipel d’expériences hétérogènes. Certaines flirtent avec le luxe, d’autres avec la sobriété radicale. Certaines sont élitistes, d’autres populaires, hippies ou libertariennes. Toutes révèlent nos désirs : vivre mieux, plus longtemps, plus ensemble avec moins d’empreinte et plus de liens.

L’utopie n’est pas un produit fini. C’est une constellation d’essais, reliés comme les îles d’un archipel.

C’est l’esprit de Archipel : exploration de nouveaux mondes : apprendre à relier, critiquer sans rejeter, et construire une carte du futur qui accepte les frictions, mesure les effets et honore le réel. Habiter autrement ne consiste pas à choisir une île, mais à apprendre à les relier.

News et évènement en rapport ce mois-ci :

Je présenterai mon livre « Archipel : Exploration de nouveaux mondes » inspiré de l’expérimentation des iles Bermond
En parallèle, Eric Foucher partagera, les Escaliers de Marseille , une exploration poétique et patrimoniale de la ville.

🔗 https://www.eventbrite.fr/…/billets-les-nouveaux-recits…

🗓️ Mardi 08/10/25 – 18h00 à la Fabulerie , Marseille

 

Publié par Nicolas Bermond

Druide et ambassadeur de Hackeurs -> <- CAC40. Fan de code "Basic", de SEO, du concept de réseau social et de logiciel libre. J'utilise les GAFAM pour m'amuser avec l'ennemi.